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Chasselas

La place au temps où...

article paru dans le bulletin municipal de 2007

jeudi 30 octobre 2008, par Paule Vermylen-Milamant

Quelques éléments de réponse à ceux qu’interpellent un lieu nommé "place" qui fut le centre d’activité du village,devenu aujourd’hui parking d’une place dortoir..

La place au temps où...

Cette vue de la place de notre village au début du siècle dernier, les anciens Chasseloutis la reconnaîtront, les nouveaux la découvriront.
Mais, je voudrais surtout, le temps d’une lecture, vous donner à imaginer une idée de la vie, des activités intenses, qui ont animé cette grande bâtisse de pierres, à la façade enduite, comme il était de mode à l’époque, et sur laquelle s’affichait fièrement l’enseigne
« HOTEL-BOULANGERIE LARDET-GOYARD – remise écurie ».
Cette grande maison, vide aujourd’hui, hantée par les courants d’air et les araignées, où Gargantua doit bien se demander ce qu’il est venu y chercher.

C’était au début du siècle passé, la population de Chasselas avait déjà fortement diminué mais comptait encore 250 habitants.

On disait alors, que cette maison avait été la halle aux vins de la région. Ce qui est certain, c’est qu’elle ne figure pas sur les terriers de 1768. Sa propriétaire, une vieille femme au caractère difficile devait renoncer à exploiter elle-même son auberge. Ayant englouti ses économies dans l’agrandissement du bâtiment pour y créer la plus grande, la plus belle salle de bal de Chasselas (il y en avait déjà une à la Croix Combier), et des environs.

En 1902, un jeune couple cherchait à s’établir dans la région. Lui avait appris son métier de boulanger à Leynes, (là où vous achetez du pain à l’occasion de la farfouille), elle, la cuisine et l’hôtellerie à Lyon.

Riches de leur seule jeunesse et de leur courage, ils choisirent de reprendre l’activité de l’auberge et d’y adjoindre une boulangerie.

Les débuts furent difficiles... très difficiles...le pain se payait à l’année...La propriétaire refusait d’installer un four dans sa maison. De plus, elle se gardait l’usage de deux pièces au rez-de-chaussée...
Si la salle de bal était vaste, le logement était plus qu’étroit !
Ils mirent un terme au jeu clandestin qui se pratiquait à l’étage où l’on jouait, disaient les rumeurs, jusqu’à sa paire de bœufs !
Un minotier leur fit crédit des premiers sacs de farine. Les premières fournées furent mises à cuire dans le four banal de la grande charrière.
On réserva un espace dans la cuisine pour stocker le pain et la planche où l’on accrochait les carnets de pain. Concurrence oblige, une partie était livré à l’aide d’une charrette dans les hameaux éloignés jusqu’au bois de Leynes.
Le pain était la nourriture principale de la population.
Les banquets, les bals, seules distractions de l’époque se succédaient.
Une foire annuelle pour le bétail, se tenait le 4 décembre.
L’auberge transformée en hôtel, accueillait les voyageurs à pied et à cheval.
Le dimanche matin, le boulanger troquait son tablier de toile blanche pour la blouse bleue du barbier.
Les quelques « rentiers » du village venaient à l’auberge boire dans de gros verres épais, « les mazagrans », le « café » dont l’usage n’était pas encore étendu à toute la population.
Les propriétaires de bois et carrières venaient de Lyon avec leurs invités pour des parties de chasse agrémentées de repas où il leur était servi, cuisiné par la maîtresse des lieux, le gibier qu’ils avaient abattu.

Les carrières, que vous devinez au sommet de la carte, étaient en plein essor et employaient des carriers qu’il fallait nourrir et loger. Les chambres de l’hôtel se révélant insuffisantes pour tout ce monde, il fallut même recourir à la location d’annexes à l’hôtel.
Le vin devait aussi trouver preneur et le boulanger se mua alors en courtier, tandis qu’un commis assurait la boulange.
Ainsi le commerce prospéra.

La guerre 14-18 ralentit l’activité, les femmes firent front sur les lieux de travail, sauvèrent l’outil et assurèrent la survie.
La paix revenue, le commerce trouva un nouvel essor, et ce, jusqu’au déclin des carrières et l’arrivée de l’automobile qui vit se raccourcir les temps de tournée des voyageurs.
En 1929, , las des éternels conflits avec la propriétaire des lieux, ce couple se retirait dans ses propres bâtiments pour y continuer un commerce plus tranquille, une pré- retraite en somme ...

Et après ?

Divers évènements firent que la fille de ce couple, revenue au village pour succéder à ses parents eut l’occasion de racheter la grande maison enfin « à vendre » !
Entre temps, le commerce avait périclité : plus de boulangerie et un café quasiment sans clients. Elle y installa ou réactiva différentes activités : café, restaurant, épicerie, mercerie, tabac, régie, téléphone, etc...Il en fallait des métiers pour faire vivre une famille ! Car jusqu’à la grande période du « Char à bœufs », le commerce était plutôt morose.
Une vingtaine d’années plus tard, l’heure de la retraite ayant sonné, elle vendit commerce et locaux. Les occupants successifs y travaillèrent avec plus ou moins de bonheur. Il y eut même un « café-théâtre ».

En 2004, les volets de la grande maison de la place se fermaient sur le dernier commerce de Chasselas .
Paule Vermylen-Milamant