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Regrets

mardi 26 juillet 2016, par Paule Vermylen-Milamant

Chasselas appartenait-il déjà au Grand site de Solutré quand eut lieu la vente "Alain Girel" ? Peut-être pas ! mais à l’occasion de la visite organisée à Chasselas par ce dernier j’ai voulu réveiller quelques souvenirs liés à la vie d’Alain Girel à Chasselas et à la visite De François Mitterrand et Jack Lang venus choisir parmi ses œuvres celles qu’ils voulaient destiner comme cadeaux de la République aux invités étrangers.

esquisse in situ
Tandis que les cendres d’Alain retournaient à la terre,
cette matière , que de leurs mains unies
Jeanne et lui transformaient en poteries,
leur maison se refermait sur le froid silence
d’un four éteint, d’un musée hanté par leur absence.

Aujourd’hui, sur le portail clos de la belle endormie
une affiche, rompant des lieux la magie
annonce que les portes s’ouvriront pour la vente exceptionnelle
de la collection "Alain Girel".

Avis aux curieux, aux amateurs, aux collectionneurs,
sous le marteau du commissaire priseur,
chaque objet du plus humble au plus précieux
retrouvera la lumière sous d’autres cieux.

De la cave au séjour, de l’atelier au four,
j’erre, l’âme en peine, impossible de capter d’un regard
toutes les facettes d’un art aussi particulier,
alliant dans ses décors d’impossibles accords
des chromos de Joconde aux sensuelles ondines,
évoluant entre angelots joufflus et faunes barbus, des collines
ondulant sous la vigilance des cyprès, guides ou sentinelles.

Que dire de ces muraux, improbables jeux de marelle
où se côtoient, se chevauchent, comme autant de palets oubliés
mosaïques romaines, portraits fanés, miroirs au tain brouillé.

Que dire de ces jarres pansues portant au col comme guirlandes
chandeliers, licornes, putti en folle sarabande ;
de ces couleurs pures merveilles :
violet rêveur, jaune acide, bleu céruléen, or et vermeil...

Que penser de la jarre de terre ocre, vierge de tout décor
dans l’attente d’être parée
à celle dérangeante au phallus dressé...

Un art libre de toute règle esthétique,
inféodé au seul travail de la matière,
inspiré par une imagination sans frontière...

Sur l’établi, comme égaré parmi les outils,
quelques carreaux de céramique, brisés, reconstitués ;
des cases, des cloisons, des fleurs, des cyprès
et un ange, encore ! De son aile déployée
il vient de me désigner... sept lettres émaillées de blanc :
"Regrets" au pluriel, signé Alain Girel !

Que vient faire ici une plaque funéraire ?
Sa faible estimation, me permet un instant d’envisager sa possession
non pour en aller orner sa tombe
lui qui refusa d’être enseveli,
préférant confier aux quatre vents
les cendres d’un corps désormais impuissant,
mais pour garder , sur la place où il vécut,
un témoignage de ce qu’il fut.

Regrets, les miens ne sont pas inscrits dans la pierre,
pas si lourds à porter que ceux de Jeanne Grandpierre.

Non, mes regrets sont tristesse.
Mes regrets sont regrets, tout simplement.
Regrets de voir disparaître d’un paysage familier
tant de pièces d’art assemblées.

A l’heure ou sans vergogne on courtise le touriste,
le village, la région, ne pouvaient-ils ajouter à la liste
des vieux monuments romans
une maison mâconnaise qui reçut François Mitterrand,
en aparté, en invité, quand il venait à la roche de Solutré !

Hélas, les enchères se sont envolées.
Me restent un peu plus de "regrets"
à ajouter, dans le tiroir secret
du musée Girel de ma mémoire.

Paule Milamant
22 février 2015