Accueil > Chasselas > Une épicerie de campagne

Une épicerie de campagne
On dit "épicerie" un mot bien réducteur quand on considère les marchandises que ce commerce offrait aux habitants d’un village !
vendredi 15 février 2019, par
Carambars... petits pois au lard...
friandises dévorées des yeux,
échangées contre une pièce, gagnée, dérobée...
Ô gourmandise ! Le plus véniel de nos péchés ! Souvenirs ô combien réducteurs d’un commerce qui portait en lui la genèse des actuelles grandes surfaces, créé par ma grand-mère fin des années 20 et fermé définitivement par ma mère en 1972.
Épicerie ! on ne trouve de trace écrite de ce commerce à Chasselas qu’à la fin du XIXe siècle. Début XXe, il y en eut deux , peut-être trois : une sur la place, l’autre aux Perriers et l’autre ? Quand mon grand-père eut remis la boulangerie et l’hôtel-restaurant qui allait avec, à Léon Robert, il s’installa en haut de la place. Il désirait se consacrer à ses vignes, son jardin, son bois. Pour occuper ma grand-mère qui n’était pas plus vigneronne que jardinière, il ouvrit un café. Le déclin des carrières s’annonçait, la crise atteignait les campagnes. En 1936, Chasselas ne comptait plus que 164 habitants contre plus du double un siècle auparavant. Quant aux carriers on les comptait sur les doigts d’une main alors que quelques dizaines d’années plus tôt ils étaient une bonne trentaine. Moins de clients, donc moins d’activité et ma grand-mère s’ennuyait ferme. Des voyageurs de commerce devenus des amis continuaient à fréquenter son établissement. Ils lui suggérèrent d’ouvrir une épicerie. Ce qu’elle fit, sachant qu’il lui faudrait gagner de la clientèle sur l’épicerie concurrente située de l’autre côté de la place, tenue par les époux Delaye.
Ces derniers bénéficiaient en effet d’un sérieux avantage, ils avaient le « dépôt de lait » !
Chaque famille avait deux, voire trois vaches dont le rapport assurait le quotidien du ménage avec les récoltes annexes de blé, pommes de terre, légumes, etc... Chaque matin le laitier passait recueillir le lait que les femmes apportaient dans des grands bidons d’aluminium, (que l’on retrouve parfois, agrémentés de motifs peints, achevant leur carrière comme porte-parapluies !)
La quantité de lait apportée était inscrite sur un carnet et chaque mois le laitier réglait la note.
Ce système avait l’avantage pour l’épicier de fidéliser la clientèle et surtout en fin de mois d’apurer le crédit du client. Le crédit ! Nécessité, tradition... bête noire du commerçant. De plus, cet épicier possédait une voiture, alors que ma grand-mère avait dû renoncer à son cheval, trop âgé pour tirer le cabriolet. Le grand-père se rendait désormais à Mâcon à bicyclette.
L’épicerie, minuscule annexe accolée au café ne tarda pas à supplanter ce dernier, au point qu’à notre arrivée en 1947, il nous fallut entreprendre des démarches pour récupérer la licence IV.
Devenu veuf, Léon Robert ferma la boulangerie pour se consacrer à ses vignes. La grand-mère accueillit donc le boulanger de Leynes et son pain, trois fois par semaine, dans l’annexe libérée de ses marchandises.
C’était cette épicerie et l’exploitation des vignes que mes parents étaient censés reprendre. Pour rendre la proposition plus crédible, l’épicerie ne pouvant à elle seule assurer la subsistance d’une famille, le grand père avait aidé au financement de la réouverture d’une carrière à Chasselas où mon père devait être engagé comme taillandier. La carrière fut bien rouverte...mais à Jullié ! Le grand-père fit le deuil de son apport financier et mon père désormais sans emploi fixe installa une forge où les jours de pluie il réparait les outils des vignerons. Travaux portés sur un grand livre dont le règlement n’intervenait qu’une fois l’an, à la Saint Martin. Il fallait trouver d’autres sources de revenus !
Mes parents se dirigèrent vers un développement du commerce auquel après moult démarches ils adjoignirent successivement : la recette buraliste (tabac, journaux), la cabine téléphonique, le dépôt de Butagaz, la régie... Il en fallait des métiers pour faire vivre une famille !
Ils réinstallèrent le commerce dans ses locaux d’origine, la grande maison de la place que mon père avait passé un hiver à rafraîchir.
Dans ces lieux, la cuisine se trouvait coincée entre l’épicerie et le café, si j’ajoute que les clients préféraient employer pour téléphoner l’appareil installé dans la cuisine plutôt que celui de la cabine proprement dite, une sorte de grand meuble vitré à l’aspect austère logé dans l’annexe du magasin parmi les cartons et les marchandises encombrantes telles que les sabots, les pierres de sel pour les vaches, etc... vous comprendrez que la vie de famille était quasiment indissociable de l’activité du commerce.
La nouvelle épicerie, c’est ma sœur qui l’installa heureuse d’offrir cette surprise à ma mère partie à Mâcon faire les courses hebdomadaires. En effet, depuis 1934, un service de car assurait chaque samedi un transport pour Mâcon. L’arrêt était situé sur la D31, en Cornillaux. Les chasseloutis attendaient son passage, prévu à 7 heures, ou son retour vers 13 heures, à l’abri d’une cadole (démolie depuis).
Dans le jargon actuel on dirait que l’on travaillait en « flux tendu », en dehors des livraisons régulières il fallait parfois se réapprovisionner pour des marchandises manquantes . On se fournissait aussi au marché de Mâcon de quelques fruits ou légumes. Labrosse, grossiste en fruits et légumes ne détaillait pas sa marchandise. Il y avait aussi les courses que lui confiaient les Chasseloutis ... « comme vous allez à Mâcon, vous pourriez pas me prendre ma montre que j’ai porté à réparer ? », et ma mère payait la réparation qu’il lui arrivait de devoir ajouter au compte du client ! C’était Fronton, épicier à Leynes et transporteur à l’occasion qui se chargeait de récolter les courses qu’elle avait déposées au café Rognard rue de Lyon et qu’il livrait selon son humeur et ses rencontres le samedi après-midi ou le dimanche matin...
Vous pensez bien que les salades pouvaient avoir perdu de leur fraîcheur !