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Je suis la goutte d’eau

samedi 26 avril 2008, par Paule Vermylen-Milamant

M’est venu sous le crayon ce petit texte que j’ai pensé destiner à mes petits enfants pour la lecture d’un soir.

Je suis la goutte d’eau, qui m’en vais grossir le ruisseau.
L’orage m’a projetée sur les rochers,
De là , tant bien que mal je me suis glissée,
avec mes sœurs pour compagnes,
dans le ventre de la montagne.
Je m’y plaisais assez dans cette cavité sombre
point de bruit, une température égale, c’était le grand repos au pays des ombres.

Oui, mais voilà, près de moi, une autre goutte d’eau
avait connu plus d’aventures, moi, je m’étais simplement échappée vers le ciel
dans le jet de vapeur d’un autocuiseur. Elle, elle venait de l’océan !
Je ne comprenais pas trop comment !

Elle nous racontait, les paysages de coraux vivants, les poissons de toutes les couleurs avec des ailes de gaze pour nageoires.
Et plus le temps passait, plus la nostalgie la ramenait des fonds sous marins mystérieux aux vagues houleuses qui sur un banc de sable l’avait propulsée et abandonnée. De là, disait-elle, elle s’était évaporée, le soleil l’avait aspirée. Elle s’en était allée dans les nuages, où nous nous étions retrouvées !

C’est vrai que la vie devenait chaque jour un peu plus monotone sur notre lit de roche. Pas d’herbes folles pour y déposer une goutte de rosée, pas de soleil pour y vérifier la pureté de leur éclat ! Le silence surtout si grand ... , brisé seulement, mais alors c’était effrayant, par une avalanche d’eaux furieuses dégringolant de la montagne dans un bruit assourdissant quand l’orage s’abattait au-dessus de nous. Nous étions alors bousculées, projetées, malmenées...

C’est ainsi qu’un jour d’orage épuisée par tant de furie, je l’ai suivie. Un filet de gouttes s’était formé et toutes ensemble nous nous sommes dirigées vers la liberté.

Ô la lumière ! On avait presque oublié ses effets ! Elle nous aveuglait ! Vite nous nous sommes cachées sous un lit de feuilles mortes maintenues çà et là par de gros cailloux. Puis, nous avons choisi un trajet tout en pente douce et en ombres légères. Qu’il était bon de se murmurer nos impressions, d’accompagner de notre chant, la danse des libellules, de s’immobiliser le temps d’offrir aux oiseaux un miroir pour lisser leurs plumes et se faire beaux.

Parfois un ruisselet cherchant son chemin se joignait à nous. Ensemble nous parviendrions plus vite et plus sûrement à bon port.

Nous en avons vu des paysages ! Les arbres se penchaient sur notre passage. Les saules nous caressaient de leur longue chevelure. Le ciel et ses nuages se confondaient à la rencontre de nos eaux. Nous emportions dans notre sillage le souvenir de tous ces visages penchés sur le rivage. Grisées par la vitesse où nous entraînaient des dénivelés trop importants, nous mugissions d’allégresse et
retombions en gerbes d’écume, pour repartir plus loin en chantonnant plus doucement.
Quelques unes emportées par l’effort se risquaient dans de fols tourbillons.
Les truites se plaisaient à partager nos jeux. Il leur faut de l’eau pure, il leur faut de l’air frais. A notre force elles aimaient se mesurer. Les pêcheurs à l’affût ne l’ignoraient pas bien sûr.

Le chemin qui conduit la goutte d’eau du ruisselet à l’océan, du ruisselet au firmament n’est pas un long fleuve tranquille !

Je ne veux pas attrister mon récit en vous contant toutes nos mésaventures.
Et cependant, croyez-moi, ce n’est pas gai de devoir faire flotter sur son dos autant de détritus, de rejets nauséabonds qui nous polluent, nous étouffent ! Beaucoup de ces déchets s’enfoncent dans la vase. L’ennui c’est que notre lit est rempli de tout ce monde décomposé. Nous qui avons désaltéré, lavé, filtré, purifié, l’homme et ses souillures, nous ne parvenons plus à nous débarrasser de ces nouveaux envahisseurs, molécules aux noms barbares, tenaces, rebelles, empoisonneurs de talent qui se joignent, malgré nous, à notre voyage dans l’univers allant jusqu’à se mêler aux gouttes d’eau tombées du ciel !

J’aimerais bien encore voyager et revenir vous conter mes aventures, vous désaltérer, vous amuser sans risquer de vous rendre malades.

Autrefois, il nous suffisait de courir sur les cailloux, de nous glisser entre des grains de sable, des morceaux de charbon de bois pour nous purifier à nouveau. Aujourd’hui cela ne suffit plus ! Entre les bons génies qui inventent des produits miraculeux et les mauvais qui insidieusement y glissent des pouvoirs maléfiques je ne suis plus en mesure de lutter seule. J’ai besoin de votre aide !

Je connais des petits garçons attentifs et généreux, qui aimaient jouer avec nous dans le ruisseau, peut-être entendront-ils nos cris étouffés par trop d’impuretés, et pourront-ils nous aider à nous en débarrasser ?

Des esprits ignorants, parfois malfaisants, nous ont polluées, si seulement des esprits intelligents, généreux pouvaient nous sauver !

Noël 2008